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Chef Aziz
La magie du savoir-faire
Un passionné par son métier au quotidien, c’est Bellouti Aziz, chef cuisinier et directeur culinaire du groupe Atlantis, communément appelé Chef Aziz. La passion pour le dosage et la combinaison des arômes et des saveurs le «consument» au quotidien…Il allie magie et savoir-faire! En un tour de main, il est en mesure de concocter un plat de dernière minute pour surprendre, réjouir son client et titiller ses papilles. Un échange de près d’une heure où il s’est livré à Destinations Algérie Magazine, avec passion et amour du métier. En territoire conquis, puisqu’il a la maitrise de son sujet, il est curieux, avide de découverte et de nouvelles quêtes. Chaleureux et attentif, avec ses collaborateurs et ses clients, il nous parle du tourisme, de son métier qu’il exerce depuis près d’un quart de siècle! Suivons-le au cours de cet échange spontané et passionné.
1- Voulez-vous retracez succinctement votre parcours à nos lecteurs?
Bellouti Abdel Aziz, né le 27/04/1974 à Tizi-Ouzou,
J’ai entamé l’aventure en cuisine à l’ITHT (Institut des techniques hôtelières de Tizi-Ouzou) de la ville des genêts en 2000. 30 mois de formation au niveau de cette institution, où j’ai obtenu mon diplôme, avant de rejoindre le prestigieux hôtel Sherathon, de juillet 2002 à 2004, où j’ai appris énormément en côtoyant de grands chefs, nationaux et étrangers, concernant la gestion, les spécialités, les buffets, les thèmes et les cartes. J’ai rejoint ensuite «Cité Nouvelle » (Hôtel militaire) à Beni Messous où j’ai fait l’ouverture en qualité de sous-chef. L’aventure c’est étalée de 2004 à 2010 pour s’enchainer avec l’intégration de la chaine Ibis, à Oran, où je suis resté quelques temps. En revenant, j’ai été convoqué pour rejoindre la résidence étatique Djenane El Mithaq jusqu’à 2023. Là, j’ai beaucoup investi également pour évoluer et gagner en confiance. J’ai cuisiné pour de nombreuses délégations de chefs d’Etats, de rois et des princes. Je citerai au passage: Erdogan, David Cameron, Hillary Clinton, F. Holland, Candoliza Rice, E. Macron et les rois et princes de pays arabes.
J’ai ouvert une parenthèse en 2016 et 2017 où j’ai rejoint l’hôtel la Gazelle d’Or (Oued Souf) et le CIC d’Alger (centre international des congrès) pour leurs ouvertures. A Djenane El Mithaq, j’ai beaucoup évolué en faisant trois formations en France, dans un restaurant Michelin (3 étoiles) et 5 formations en Algérie avec le chef exécutif du groupe ainsi qu’une formation à l’école «Le Notre» se rapportant à la boulangerie et à la pâtisserie. Deux autres formations, une à Toulouse et une autre à Dubaï. Depuis fin 2023, je me suis installé avec le groupe Atlantis.
2- Comment vous est venue l’idée de l’ouverture du restaurant Makizushi ?
L’idée est de notre DG, M. Bouchekhchoukha qui nous a suggéré de s’y intéresser. En effet, on a remarqué qu’il y a absence de cette spécialité et la demande s’est fait sentir. Il fallait répondre par l’ouverture de ce restaurant à travers lequel les touristes et les visiteurs de la ville pourront découvrir le monde culinaire asiatique.
3- Qu’est ce qu’il faut pour être un bon chef ?
Il faut aimer le métier d’abord. Sinon, il ne faut pas s’y aventurer. Seule la passion et la persévérance permettent d’avancer et d’aller loin. Un bon chef, c’est cumuler plusieurs paramètres à la fois. C’est beaucoup de connaissances, c’est découvrir ce que font les autres, leurs cultures, leurs ingrédients. C’est aussi connaitre les spécialités, savoir gérer et avoir le sens du management au sein de la cuisine. C’est avoir le sens du contact (C’est très important). Il faut être attentionné avec le personnel et les clients. C’est savoir transformer une nourriture en bonheur partagé!
4- Avec votre riche et long parcours (formations et voyages à l’étranger), probablement vous avez constaté une différence, elle est à quel niveau?
Ce qui est frappant d’emblée, c’est leur ouverture sur le monde, sur d’autres cultures, d’autres horizons. Eux, ils mettent de grands moyens car, même les clients sont connaisseurs. Chez nous, on est encore loin de travailler notre patrimoine culinaire qui est très riche (et de loin) par rapport à ceux de nos voisin et ceux de nombreux pays. Vu que l’Algérie est un pays continent, je peux dire que chaque région du pays à sa spécialité et sa spécificité. C’est notre mission en tant que chefs de travailler ce patrimoine diversifié et riche en ingrédients et en saveur. Il y a plein de spécialités et de plats !
…Pourtant les moyens ne manquent pas chez nous !
En effet ! Ce qui nous fait défaut c’est l’organisation.
…c'est-à-dire ; soyez un peu plus explicite.
Il faut créer des associations de chefs, des festivités culinaires pour mettre en valeur la richesse de notre patrimoine culinaire dans chaque région, et organiser des concours pour inculquer la motivation et la concurrence entres les prétendants comme ça se fait ailleurs. Il faut récompenser l’effort et l’innovation.
Il y a des gens qui n’ont jamais gouté au plat R’fis ou m’hemmer, alors qu’on est dans un même pays. Vous imaginez!
…Donc, vivement l’ouverture d’un restaurant traditionnel de Kabylie dans une autre région du pays!
Ça c’est bien, une excellente idée même, pour faire découvrir le patrimoine culinaire kabyle, voire berbère, aux autres régions du pays. Car les préparations culinaires de chez nous sont riches, variées mais demeurent méconnues. Nos préparations sont même médicinales et bonnes pour la santé, vu qu’elles sont naturelles. D’ailleurs, on a presque oublié certains plats de nos ancêtres qu’il faudra revisiter et mettre au goût du jour.
5- Vous avez fait un passage à l’hôtel Gazelle d’or. Parlez-nous de votre expérience.
J’avoue que je ne connais pas bien le Sahara, mais je peux dire que j’ai été étonné par la richesse de leur culture, notamment culinaire. D’ailleurs, j’ai découvert plusieurs plats : le Matabé, le Couscous aux dattes, le Taffa, la Chorba aux pigeons,….C’est un patrimoine vraiment riche. S’il est exploité et mis en valeur convenablement, il peut être un produit d’appel du tourisme saharien. Il sera une valeur ajoutée sûre pour le tourisme et, donc à l’économie du pays. Pour promouvoir le secteur, il faut que tout le monde soit impliqué: Les agences de tourisme et voyages, le secteur du transport ; Il faut faire un marketing de professionnels, sans oublier les métiers de l’hôtellerie et de la restauration. C’est un travail en synergie pour la continuité et la cohésion de la chaine de valeurs.
6- …On y est, de plain-pied, comment voyez-vous l’évolution du secteur du tourisme, notamment dans le métier de la restauration, depuis vos débuts?
Il y a lieu de noter que l’évolution est perceptible ces dernières années, notamment en ce qui concerne le tourisme saharien. Nos citoyens s’intéressent de plus en plus au tourisme; ils veulent découvrir leur pays. Sincèrement, il y a un potentiel (notamment humain), autant que les moyens d’ailleurs. Mais question de prix et de prestations, il y a beaucoup à faire. il faut noter que le pouvoir d’achat du citoyen est très en-deçà de ses aspirations: les tarifs pratiqués chez nous en Algérie sont excessifs. Ce n’est pas donné à tout le monde de voyager, hélas!
7- Qu’est ce qui fait la cherté des prestations dans les établissements du secteur?
Il n’y a aucune étude faite; chacun fait son étude, ses tarifs à sa manière. On rentre parfois dans des hôtels qui affichent des tarifs élevés, carrément indignes des prestations fournies. Il y a bien des possibilités pour permettre aux gens de la classe moyenne de voyager, d’accéder à des prestations acceptables. Il y a lieu de redynamiser les auberges à travers le pays, comme ça se fait en Europe, pour que chacun y trouve son compte.
Il y a lieu de s’interroger sur le départ de nos concitoyens (qui ne connaissent pas leur pays) vers la Tunisie et ailleurs, alors qu’on a de belles plages, de merveilleux paysages. La nature a gâté notre pays par des sites contrastés et vastes. L’unique raison, c’est bien les tarifs !
8- Et si on fait le point sur le plan formation dans les divers métiers du secteur, qu’en-est-t-il ?
La qualité de la formation à baissé considérablement ces dernières années, alors que par le passé nos écoles étaient alignées sur le standard international. Pour être un chef, il faut passer, au moins, 24 à 30 mois, en cuisine. Et c’est encore peu ! Pareil pour les métiers de réceptionniste, serveur etc. L’encadrement était, et de loin, meilleur avant.
C’est un leurre de proposer la formation de chef en une période aussi courte (3 à six mois), tel qu’on le voit proposer par certains établissements. Il est impossible d’assimiler le savoir nécessaire en une période aussi courte pour être apte à occuper un poste de travail.
Parfois, on nous envoie des jeunes diplômés, que je considère personnellement comme des victimes. Proposer trois mois de formation pour être un demi-chef ou un chef de partie, c’est de l’arnaque! Ils ne connaitront même pas les bases et les préliminaires du métier.
9- Installé en votre qualité de directeur culinaire en chef de la chaine Atlantis, quels sont vos projets ?
A présent, je m’assigne la mission de faire de la chaine Atlantis la meilleure chaîne en Algérie, voir un label de qualité à moyen terme dans le monde, à tout point de vue, qualité de service et tarifs. Ceci en formant les jeunes qui viennent travailler dans les prestigieux établissements de la chaine. Je tiens à leur transmettre tout le savoir que j’ai acquis au fil des ans, durant ma longue et riche carrière.
10- Comment un établissement peut-il apporter un plus pour le secteur?
C’est la qualité de la formation qui est sur la balance. Il faut faire un bon travail à tous les niveaux. Concernant la restauration, il faut faire un travail de recherche sur notre patrimoine. Développer la cuisine algérienne est la seule et unique manière d’y contribuer. Il faut qu’il y ait transmission du flambeau entre les anciens et les nouveaux. D’autres cultures culinaires connues mondialement n’ont pas la richesse et la diversité de la nôtre. Notre patrimoine culinaire n’a rien à envier à la gastronomie libanaise, turque, marocaine ou autres connues mondialement; la différence est dans le travail et la recherche. Nos compatriotes immigrés, dont le rôle prépondérant dans ce travail de mise en valeur est avéré par le passé, ne se sont pas concentrés sur la question de transmission et de divulgation de cette culture. Ils avaient versé beaucoup plus dans l’hôtellerie et la brasserie, alors que les communautés d’autres pays, où qu’elles sont, ont travaillé leurs cultures culinaires. Ces derniers temps, il y a prise de conscience; la cuisine algérienne émerge en Europe, notamment en France.
La restauration est un segment d’une valeur ajoutée sûre sur le plan économique, susceptible d’engranger de la devise, car ses produits du terroir peuvent être exportés : Dattes, Couscous, huile d’olive, etc.
11- Vous avez exercé au sein de la résidence d’Etat, au service de la présidence. Comment ça se passait ?
On était la vitrine de notre cher pays. Un invité de la présidence, roi, prince ou président, se restaure en mangeant notre culture, notre terroir et c’est une responsabilité énorme. On a toujours été honorés et félicités, que ce soit sur le goût, la saveur ou la présentation. Les gens ont été toujours étonnés par notre culture culinaire. Et je me suis toujours demandé: l’étonnement pour tous les visiteurs, pourquoi pas? Et c’est possible!
J’ai fais goûter de grands chefs qui ont été émerveillés et m’ont témoigné que notre cuisine est meilleure que celle du Maroc et d’autres pays. Plus explicites, ils ont affirmé que la nôtre est légère et bourrée de saveur; alors que celle du Maroc (à titre d’exemple) est agressive. La nôtre, disent-ils, est légère, dosée en épices avec une harmonie de saveurs. Chaque préparation a ses épices et son mode de cuisson spéciaux.
Le terroir algérien est vraiment vaste, chaque jour je découvre de nouveaux mets et plats d’autres régions.
Les nouvelles générations se rendront compte de la richesse de ce patrimoine et se consacreront à le travailler et le faire découvrir.
D’ailleurs, un travail de collecte est à faire auprès de nos mères et grand-mères qui ont tant de choses à nous révéler. En voyageant à travers le pays, je découvre encore des astuces et des idées chez des gens très modestes :
Récemment, je suis passé par Dellys, j’ai acheté la patte de poivron rouge qui peut remplacer la tomate industrielle. C’est très délicieux et c’est sans conservateur et sans colorant. Le goût fumé du poivron donne un arôme pour le plats (Tadjines, Couscous, soupes,…).
12- Revenons à l’organisation des professionnels, si vous le voulez bien.
Il faut qu’ils soient structurés dans des organisations réglementées qui, régulièrement, organiseront des concours pour encourager les gens qui font des efforts et les récompenser par un système de titres et d’échelons. En France, par exemple, il y a le guide Michelin. Les gens qui ont ses «étoiles» ont un carnet de réservation en continu. C’est une référence, ce qui n’existe pas chez nous.
13- Quel genre de partenariat et de coopération doit-on privilégier dans le secteur pour plus d’efficacité?
L’essentiel, c’est de s’atteler à une formation de qualité dans un cadre de partenariat gagnant/gagnant, notamment avec les firmes étrangères pour apprendre beaucoup de choses. Sincèrement, j’ai tant appris avec la firme Starwood, au Sheraton hôtel. Elle a formé beaucoup de gens qui sont devenues maintenant des chefs. Les firmes étrangères ont des chefs issus de plusieurs pays, à travers qui on découvre d’autres spécialités (cuisine).
Il y a lieu de mentionner qu’il y a des firmes qui ont jusqu’à un siècle d’existence. Donc, on a tout à gagner en signant des partenariats avec elles.
Désormais, il faut intégrer les métiers du tourisme dès le secondaire et permettre aux jeunes d’opter pour des carrières professionnelles dès le début du lycée. Maintenant, j’ai l’impression que les jeunes considèrent le secteur du tourisme comme «un refuge». Les jeunes opteront pour les métiers du tourisme par passion. Avec le temps, ils excelleront, chacun dans son métier et réussiront sans doute.
14- On ne peut clore l’entretien sans évoquer Béjaïa
Très belle ville au potentiel touristique indéniable. Il y a beaucoup de choses à faire encore pour en faire, avec le temps, un pole touristique important. Elle manque d’infrastructures et de préférences de différentes gammes, pour permettre aux citoyens modestes d’y séjourner. Maintenant, il y a les moyens de transport. Pourquoi ne pas exploiter la côte maritime en organisant des sorties au large par bateau. Voilà ce qui manque chez nous, la diversification de l’offre touristique! Il y a même des activités qui ont disparu: Il n y a plus de camps familiaux, de campings etc. Quelque chose d’important nous a filé entre les doigts, avec le temps: Je me souviens des campings d’un mois qu’on faisait lorsqu’on était jeunes. Les nouvelles générations ne connaissent pas ces plaisirs simples, une autre façon de faire du tourisme local avec peu de moyens. Les camps et les campings font bouger les choses et permettront aux jeunes de connaitre les différentes régions du pays.
15- Un mot pour ceux et celles qui pourront éventuellement être passionnés par le dosage des épices et les arômes des différents mets ?
D’abord, il faut aimer ce métier si dur, s’intéresser et faire le travail de recherche en continu. Il ne faut surtout pas compter sur ce que les autres vous donneront. Il faut prendre le soin de découvrir par soit même. A mes débuts, je gagnais 8.000 DA et j’achetais des bouquins de 6.000 DA pour apprendre. La satisfaction vient au fur et à mesure qu’on découvre le métier, et c’est là le piège. Plus on le découvre, plus on l’aime et l’envie d’aller de l’avant nous étreint et devient un catalyseur. Je n’ai jamais rencontré, tout au long de ma carrière, quelqu’un qui n’aime pas la cuisine, même s’il n’a rien à voir avec le métier: médecin, ingénieur, juge, avocat, entrepreneur ou simple travailleur, homme ou femmes. Ils disent tous qu’ils aiment la cuisine! Que dire lorsqu’on en fait son métier; c’est comme une drogue et c’est là qu’opère la magie. Chaque jour on découvre quelque chose de nouveau et c’est amusant. C’est un véritable amour! Me concernant, tout ce que je vois autour de moi, j’en fais un lien avec la cuisine, je m’en inspire. Je demande aux jeunes de partir à la conquête de cet univers culinaire sans crainte. C’est amusant, passionnant et très riche. Il a un aspect qu’on ne soupçonne pas au début: Contact humain, sens du partage, savoir-être, savoir-vivre etc. Tant de belles choses se découvrent autour d’une table!
Allez-y, foncez et ayez le sens de l’audace! Prenez-le à cœur pour réussir. C’est un bon métier même si il est difficile. C’est une découverte au quotidien !
…Que peut-on dire de plus?
On ne le dira jamais assez. La formation, la formation et puis la formation en continu! Même diplômé, ça ne veut pas dire qu’on est qualifié. La véritable formation est sur le terrain et en continu pour découvrir les astuces et pénétrer les secrets du métier au fur et à mesure. La théorie et la pratique sont indissociables!
A. Achour