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Farid Bouchekhchoukha : DG de la chaine hôtelière Atlantis:
L’art et la manière
Le premier inscrit à l’école ESHRA d’Alger, à son ouverture. Il en sort diplômé de la première promotion, en 2018, c’est lui: Il s’agit du jeune et dynamique actuel directeur général de la chaine Atlantis, en l’occurrence Farid Bouchekhchoukha. Dans le sillage de l’inauguration de l’hôtel Aurès Atlantis- Akbou, il nous a accordé un entretien où il aborde toutes les thématiques avec franc-parler et professionnalisme. Sans détour, il met le doigt sur les plaies et les tares du secteur et ses zones d’ombre.
1- Pourquoi, à votre avis, le tourisme peine à redécoller ?
On constate un manque de professionnalisme en hôtellerie et chez les voyagistes qui optent pour la facilité et ne font pas d’effort pour innover et proposer des produits touristiques de qualité. Les agences de voyages font beaucoup plus dans l’Out-Going, au lieu de faire des efforts pour développer le tourisme interne. Développer le tourisme interne nécessite un effort soutenu et un travail en synergie entre les hôtels et les agences de voyages. Le staff d’un établissement hôtelier a aussi la mission de promouvoir les sites touristiques environnants.
La crise du Covid a eu un aspect positif, à savoir imposer une autre façon de voir et de concevoir les choses. Le Covid a incité les gens à se raviser et se recentrer sur leur environnement, d’où le changement constaté, juste après. Faire du tourisme, c’est partir en aventure! C’est vivre une expérience unique en son genre! On n’a pas vraiment besoin de prendre le métro, le tramway ou le téléphérique, pour faire du tourisme.
A Zanzibar où je suis allé dernièrement, j’ai vu des touristes allemands (et autres nationalités) partir avec quelqu’un en scooter, prendre un clandestin ...etc.
2- On entend souvent que les tarifs appliqués en hôtellerie chez nous sont excessifs! Qu’en pensez-vous?
En effet, et dans une certaine mesure, c’est une évidence, car l’offre est inversement proportionnelle à la demande. En Algérie, on a un parc hôtelier très maigre, insuffisant pour prétendre faire du tourisme dans les règles de l’art.
A titre d’exemple, les hôtels de la wilaya de Béjaïa affichent complet de juillet à mi-septembre, même ceux dont les prestations sont médiocres. Après, c’est le plat total. Un vrai professionnel travaille même en basse saison!
J’ai fait un stage de six mois au Maroc, dans une petite ville appelée Essaouira, où j’ai fait le constat suivant: Les prix sont excessivement chers et c’est à longueur d’année. Une nuitée dans un 5 étoiles dépasse 40.000 DA! Il y avait des algériens qui venaient à ce prix.
3- Qu’est ce qu’il faudra pour provoquer le déclic de la relance du secteur ?
Ouvrir les frontières et alléger les tarifs des billets pour faciliter les déplacements, sans oublier de faire du marketing au niveau des grands événements internationaux. Les gens ne cherchent pas le luxe. Hormis les hôtels, tous les autres pays ont un problème de transport. Le tourisme, c’est vivre une expérience unique, au cours d’une aventure singulière.
Un youtuber français qui fait le tour du monde en choisissant les pays non touristiques, et qui partage son expérience sur les réseaux sociaux: Après 27 pays, dont plusieurs en Afrique et en Amérique, il a classé l’Algérie en premier!
On l’a accueilli à Bejaïa et il nous a fait part de ses impressions: Il a été subjugué par l’hospitalité et la générosité des Algériens qui, dit-il, sont légendaires!
«L’Algérie, c’est le seul pays pour lequel mes parents n’étaient pas d’accord, lorsque j’ai décidé de venir, alors que j’ai été dans des pays où j’ai vraiment pris des risques majeurs. Ce n’est pas du tout le cas en Algérie où je n’ai vu aucun risque», a-t-il confié.
…Vraiment !
Oui, vous pouvez imaginer que l’mage qu’on met en avant de notre pays à l’étranger, est faussée volontairement, à des desseins inavoués mais clairs! Dans ce sens, nos représentations à l’étranger ont du pain sur la planche, pour contrer toutes les propagandes qui faussent l’image d’un des plus beau pays du monde qu’est l’Algérie.
4- En votre qualité de professionnel, comment avez-vous accueilli Les mesures de facilitation décidées par les pouvoirs publics ?
Insuffisantes, mais de bon augure! Elles sont les bienvenues. D’ailleurs, depuis, les choses commencent à bouger au Sud; beaucoup de gens veulent investir là-bas. D’ailleurs, la chaine Atlantis est en prospection pour un projet d’envergure au Sud du pays.
5- Quelle est la place de la formation dans l’industrie touristique ?
Les métiers de l’industrie touristique sont basés sur la ressource humaine à plus de 90% ! Les quelques écoles qu’on a ne couvrent même pas 20% du marché du travail en hôtellerie. 80 % des profils de ceux qui exercent les métiers de l’hôtellerie se basent sur le savoir être. A Atlantis, on recrute les gens sur la base de ce critère et on les forme.
Maintenant, les pouvoirs publics ont lancé des formations au niveau des centres de formation professionnelle. 50 stagiaires issus des centres de formation professionnelle sont au niveau des établissements de la chaine. Après 12 mois de stage (avec un présalaire), on les recrute.
La formation doit être continue! La chaîne Atlantis dispose d’un service formation qui fonctionne en continu. On fait appel a des experts et des formateurs étrangers et, en même temps, on forme à notre niveau (Hygiène, services, accueil etc.). On n’a pas le choix, il y a un manque flagrant de formateurs! Un constat, si vous le permettez, après avoir exercé quelques années…
Oui, bien sûr!
Selon ma modeste expérience, il faut que la tutelle exige une formation pour les investisseurs du secteur. Pourquoi? L’investisseur en Algérie ne croit qu’à ce qui est tangible: Rares sont ceux qui oseront investir dans une formation à 100.000 DA, alors qu’ils sont prêts à débourser sans compter, dans l’achat de meubles ou autres choses.
J’ai eu du mal à convaincre un investisseur de mettre en place un logiciel de gestion. La majorité ne comprend pas les concepts de l’hôtellerie. Certains investisseurs réalisent un hôtel à coup de milliards et tergiversent ou ne conçoivent pas la nécessité d’un logiciel de gestion!
6- Qu’est ce qui fait la réputation d’un établissement hôtelier ? Ce n’est pas les murs, ni la décoration ou les équipements. D’ailleurs, le feedback des clients nous enseignent énormément à ce niveau.
C’est le bon accueil, les prestations de qualité à tous les niveaux de l’établissement. On a nommé un chef ayant une formation solide au poste de directeur culinaire, qui a pour mission de former, de créer et de superviser tout ce qui se passe dans le service Restauration. D’ailleurs, on est sur un projet de standardisation de la restauration au niveau de toute la chaine.
7- Quels sont vos objectifs à long terme ?
C’est faire de la chaine Atlantis une référence à l’international où l’on proposera des contrats de management, des franchises pour les autres établissements hôteliers.
Pourquoi pas une chaine hôtelière algérienne qui officiera à l’international ? Avec les compétences de nos jeunes, on arrivera avec du travail et de la patience. J’y crois, fermement.
On a déjà reçu des propositions de partenariat qu’on a décliné. On doit d’abord maitriser nos établissements et boucler la parenthèse des investissements, puis on verra. Dans notre programme d’investissement figure, à long termes, une grande école de formation pour le lancement de la franchise et du management, ainsi qu’une agence de voyage. En termes de partenariat, avec une grande école de formation étrangère, ça peut être intéressant. Il y a une forte demande dans ce sens.
8- Un mot pour boucler l’entretien ?
Je reconnais que je suis chanceux d’avoir un investisseur attentif et constamment à l’écoute. En fin observateur, avec sa longue et riche expérience dans la gestion, il nous aide même par son image. Au fait, avec quelqu'un qui vous limite constamment, vous n’irez pas loin. L’idée du restaurant populaire haut de gamme, c’est sa vision (Hadj Hamitouche): «Vous faites un restaurant gastronomique pour les clients de l’hôtel, mais je veux aussi que les citoyens en profitent», a-t-il indiqué. On fait du volume; d’ailleurs, on a commencé avec 200 couverts. A quelques jours de l’inauguration, on est à 300, sans avoir fait aucun marketing.
A. Achour